Ethnicité et éducation

Publié le par georges.ntsiba.over-blog.com

104 1982

Ethnicité et éducation

Dans un précédent texte « Du sentiment ethnique à la réhabilitation de la territorialité » j’ai postulé que l’ethnicité était une source pour en faire des ressources à investir dans un réaménagement de la gouvernance de nos territoires. Je considérais le territoire dans son acception géographie culturelle. Mon discours était écologique puisque j’ai parlé d’éco structuration. Mais quelques esthètes sensuels du temps passé, promptes à s’émouvoir dès qu’un est évoqué, dont la pensée tourbillonne, effervescente et sensuelle comme les faits historiques qu’ils entendent décrire, virevoltent autour de la tribalité sans l’effleurer, ni la sentir, ni l’approcher vraiment préférant s’infatuer sur autre chose que le sujet abordé.

 Ce sont là les risques réels de cette entreprise qui ne remplacera jamais la lecture patiente et apaisée d’un écrit avec les méandres qu’ils comportent, les intuitions qu’ils suggèrent et les liens tissés entre les énoncées qu’ils autorisent.

 Mon propos, je le répète, relève d’une approche phénoménologique construite sur une herméneutique du vécu, ouverte aux sensibilités sociales et aux attitudes pour mieux comprendre et valoriser la vitalité de nos richesses culturelles de portée éducative.

 L’ethnicité inspire une socialité pensée comme l’affirmation d’une solidarité de base, son expression quotidienne dans une organicité plus rurale, différente du social mécanique urbaine où les individus sont entre eux d’une manière rationnelle et conflictuelle quand la tribalité triomphe par l’absence de démocratie participative

 Nous ne stigmatiserons pas le taux de scolarisation plongé dans une décrépitude que d’aucuns ont déjà noté. Nous n’aborderons pas non plus la dégradation de l’infrastructure scolaire désormais réglée par une dynamique mercantile. J’invite comme tant d’autres à une prise de conscience qu’il est temps de procéder à une sorte d’archéologie de nos savoirs tellement phagocytés par l’entreprise coloniale. Il n’y a pas de raison que l’émergence des mathématiques qui se soit faite entre Égypte et Soudan ne se fasse ni au Congo ni ailleurs dans des contrées ethniques réputées incultes.

Nous aborderons trois niveaux de réflexion : les fondamentaux d’un projet issu de l’ethnicité, les principes d’une anthropologie pédagogique, la conquête du temps présent dans la désagrégation des logiques occidentales qui génèrent tant d’échecs scolaires, même si la pédagogie Freinet inspirerait l’éco formation que nous appelons de tous nos vœux.

Les fondamentaux d’un projet issu de l’ethnicité,

L’ethnicité instaure des rapports entre l’institué et l’instituant. La dialectique du pouvoir et de la puissance sociale vont alors dicter les valeurs d’une enculturation qui structure des personnalités capables de résilience lorsque les aspérités des conditions de vie que nous connaissons, ne nous empêchent pas d’aller à l’école. L’homme africain est dur au mal. Il est tout proche de la nature dans une sorte de «éco symbolicité» intrinsèque de l´écoumène. « L´expérience et la communication humaine ont une dimension irréductiblement spatiale : le monde connu et imaginé que l´activité humaine convertit en empire de signes est, entre autres, une réalité géographique. Cette réalité n´est donc pas à l´écart du processus de sémantisation du monde : du fait même de sa matérialité, la réalité géographique est au contraire un support privilégié du processus de symbolisation, de conversion en symboles des éléments concrets de la vie humaine »

L’éducation en générale et la culture en particulier est histoire d’appropriation des symboles. Le propre du symbole est de mettre en relation, de créer le lien entre des réalités de nature différente, d´articuler des ordres : le matériel et l´idéal, le concret et l´imaginaire, l´espace et le pouvoir.

Si l´on accepte de considérer le symbole comme un médiateur essentiel de l’éducation, médiation entre les différents ordres du réel, il faut reconnaître les fondements culturels de ces ordres, pris comme autant de schèmes de pensée ou d’action spécifique, de catégories variant suivant les civilisations, leurs temporalités et leurs spatialités. L´analyse de la symbolique issue de nos territoires est donc une sémiologie des formes spatiales à lire à l’aune des schèmes et catégories culturellement fondées (autorité, identité, centralité, légitimité, monument, etc.). Nos royaumes connus au Congo n’y ont pas échappés. Il s´agit de comprendre comment une organisation de l´espace et un système de valeurs s´imprègnent l´un de l´autre. En outre, les changements d´échelle et de temporalité doivent être considérés comme des changements d´efficacité symbolique. L’inculcation de la culture coloniale n’a pas été neutre dans notre mouvement symbolique. Un lieu symbolique n´a pas la même signification vu de près ou représenté de loin, pour un petit groupe ou une large communauté, pour l´intérieur et l´extérieur, pour « nous » et « les autres », et à travers le temps. Un mbongui, un panthéon, un centre culturel ou une citadelle sont des symboles à la signification changeante selon le point de vue de celui qui les considère et sa position dans le temps. Faut-il rappeler pourquoi la reine Ngalifourou portait un casque colonial ? C’était une histoire de respect de symbole, histoire de dévoiement des signifiants.

Au moment de célébrer les 50 ans d’indépendance, il est temps de briser les freins et les chaines que nous nous sommes mis dans nos têtes et qui produisent une vraie défaite de la pensée.

En ce sens, l’anomie que génère ce débat sur la tribalité comporte un aspect utilitaire, elle doit permettre de comprendre la perdurance d’une gestion sociale qui va à la dérive et devenir facteur d’équilibre structural car il faut y en sortir. Mais la violence que pourrait inspirer cette anomie ne peut se réduire à vue utilitariste, parce qu’elle est sans finalité, inquiétante et revêt une forme symbolique comme passion vécue collectivement (dans ces incessantes guères civiles par exemple). L’anomie a une fonction rassemblant, elle génère du lien lorsqu’elle contribue à briser la sérialisation sociale, et se fonde sur l’image d’une société à créer. Elle aboutit à l’échange symbolique et en ce sens, elle est l’expression d’un désir de communion.

Tout cela marque un renversement épistémologique où la culture est privilégiée par rapport à la seule préoccupation économique et où l’importance du mythique, du symbolique et de l’imaginaire doit être valorisée et non plus le dualisme marxiste infrastructure-superstructure. C’est aussi une « nouvelle » sociologie de la «profondeur de l’épaisseur et de l’opacité, de la profondeur des liens sociaux» (Durand G., 1979: 11). Une société dont les contenants de pensée sont externalisés (nous pensons en français) est vouée progressivement à la disparition de ses assises identitaires. Dieu merci plusieurs de nos archétypes sont identitaires : certains d’entre nous pleurent, rient, sont heureux en congolais.

 Il s’agit de désenclaver nos régions non pas seulement du point de vue des infrastructures routières, mais aussi du point de vue de la circularité de notre patrimoine culturel et des échanges interethniques, interculturelles pour éduquer au multilinguisme, à l’hybridisme culturelle. Le métissage est une richesse. C’est ce que l’école aurait dû construire à la rencontre avec l’occident. Le métissage est une interpénétration des entités et identités d’où s’élaborent des compromis de coexistence et des ajustements mutuels.

Les principes d’une anthropologie pédagogique

Le désenclavement appelle d’emblée deux propositions : la création de 2 structures, un Institut Régional de Formation (IRF) & un Institut Régional du Patrimoine Culturel (IRPC).

Le choix du mot formation est une mise en perspective de ce que les étymologies du mot éducation ont induit dans l’histoire de la pédagogie. Éducation vient d’ex ducere, et e ducare. La première acception nous rappelle malheureusement la croisade civilisatrice. Ex ducere c’est conduire hors de l’état sauvage. Nos cultures n’étant que la perpétuation de noces barbares, il nous est donc difficile d’y adjoindre l’ethnicité qui est d’une autre dynamique. Par contre educare, seconde acception, c’est à la fois encadrer, éduquer et former. Mais educare est aussi un néologisme anglicisant né de la contraction de education (qui signifie éducation en même temps que formation des enfants et care (to be taken into care, un être qui est confier aux soins de quelqu’un). Cela me convient bien pour introduire une archéologie du savoir.

 Pour comprendre un individu et lui offrir un espace de parole, il faut reconstruire avec lui ses inscriptions dans les différents tissus d'imbrications et d’agrégations.  Il faut permettre à l’apprenant de produire une image de soi tout en formant le projet qu’il veut négocier. Il est alors le produit d'une histoire dont il cherche à devenir le sujet. En produisant son blaze, il identifie les expériences les plus significatives, en lui permettant de réaliser une autobiographie éducative, le formateur lui fournit les éléments nécessaires à la construction d’un projet. Ce que nous recherchons en tout cas dans cette manière de procéder, c’est de travailler à aider le jeune apprenti à s’extraire du poids de la désolation. Chercher, dans l’histoire, l’échappée qui donne un étayage à la vie : l’événement inaugural d’une représentation de soi, plus acceptable. «Cette recomposition intentionnelle» (Cyrulnik, 2003, p. 30), fournit la matière pour raviver la flamme de l’estime de soi. Chaque production de savoir même tâtonnante, chaque entretien ou chaque médiation ou encore autre outil de face à face, est une mise en forme de soi pour dégager les voies d’une auto détermination. Cette interlocution ouvre la possibilité d’une codétermination transformant par le fait que le sujet sollicite l’accompagnement d’autrui et l’intégration au groupe.

 Aborder ainsi un projet c’est initier une pédagogie de la transaction. Elle est d’abord un mouvement solidaire, volontariste et libérateur qui vise à faire émerger les désirs les plus fondamentaux pour les confronter à la réalité pour co construire comme auteur un face à face basé sur la réciprocité éducative. Ce mouvement est circulaire, nous parlons alors de cercle vertueux du projet.

C’est dans l’usage des médiations (notre patrimoine culture) qu’émerge la pédagogie de la transaction. Celle-ci est traversée par trois niveaux d’approche : la pédagogie par objectif, la pédagogie différenciée et la pédagogie du contrat.

La pédagogie de la transaction introduit un processus d’accompagnement, et nous savons tous que l’acte d’accompagner est irrigué par trois filet de sens :

·  Une relation de partage et de communication d'un élément substantiel,

·  Un mouvement vers une parité de relation, même avec une disparité de position,

· Une durée dans le temps.

L’émergence des dispositifs d’accompagnement est à replacer dans ce passage d’un modèle sociétal à un modèle de fluidité sociale. La relation de formation tend à s’inscrire, non plus dans une logique d’inculcation et dans un modèle réparateur, mais dans des dispositifs et dans une pratique fondée sur la proximité. Les concepts de transaction et d’oralité sont particulièrement importants pour saisir cette dernière. Elle met le sujet en situation d’optimiser son environnement. Cette optimisation intègre aussi bien l’équation personnelle que les exigences de l’environnement. La pédagogie nourrit le rapport d’usage en procédant par objectifs

Ce que je retiens de mon maître Gaston Pineau est dans une formation est marquée par les contextes dans lesquels elle s'inscrit : elle n'est pas considérée et parlée de la même manière dans une culture que dans une autre et que transformer une expérience consistait à travailler sur une situation vécue et sur le rapport que l'auteur a ou a eu avec cette situation. Il semble que trois registres au moins sont concernés par cette transformation :

· L’élaboration du sens et sa confrontation à différents niveaux de sens,

· L’élaboration de savoirs expérientiels et leur articulation nécessaire avec les savoirs constitués,

· L’évolution ou la transformation identitaire des personne, par la réflexion sur leurs rapports à leurs expériences.

 Cette pédagogie met dans le moment présent en face à face, des acteurs en situation de choisir, de décider, d’agir; et c’est en agissant que ces acteurs se construisent ; le projet devient donc le lieu même de l’apprentissage. Il n’y a pas de projet sans apprentissage et il n’y a pas d’apprentissage sans projet.

 La pédagogie différenciée y prend figure pour valoriser le singulier de chaque sujet, seul ou en groupe, dans ce qu’il met en œuvre individuellement lorsqu’il s’agit de s’approprier les objets culturels et cognitifs. La pédagogie du contrat achève la démarche dans la ritualisation de l’engagement personnel.

 

Axe circulaire

           
     

Population et ses besoins Le diagnostic social et éducatif

 

Bilan, retour sur les besoins de l’usager

Évaluation : indicateurs de réussite, indicateur d’échec RESULTATS

Axe central

 

 

2-recueil des données, observation du quotidien

 

 

 

 

 


Ce cercle vertueux du projet met en jeu trois figures de transactions et trois natures de rapport au savoir : des transactions interpersonnelles, vitales et aux frontières des organisations ; des rapports au savoir identitaires, épistémiques et sociaux.

Le diagnostic social et éducatif

Coquilles humaines de Molles.        Pyramide de Maslow.      Classification d’Anderson.         Classification d’après une pédagogie de la transaction

Suscitant des mouvements de réconciliation

                                                                                                                 Apprendre

Espace métaphysique                

                                                                                                                Se  recréer                                                                Culture professionnelle

                                               Spirituel                             

                                                                                                                S’occuper pour se réaliser

                                                         Dépassement 

Espace physico-cosmique                                                                      Agir selon sa croyance et ses valeurs

                                                                                  

                                                        Social                                               communiquer

Espace social                                                                        

                                                  Estime et considération

                                                                                                                Éviter les dangers                                                                                        

                                                                                                                                                                                                  Apprentissages scolaires

                                         Affectif                                            Être propre

Espace voisinage                                                    

                                                                                                                 Se soigner

                                                 Appartenance et amour                                                                                                                                Parole

                                                                                                              Maintenir sa température

Espace des proches                                                                                                 

                                                  Survie                                                Se vêtir

                                                                                           

                                               Sécurité et confiance en soi

                                                                                                       Dormir et se reposer

Espace habitat                                                                     

                                                                                                                                               

                                                                                                      Se mouvoir, maintenir une bonne température

                                                 Base

                                                                                                          Éliminer                                                                                         Corps

Espace corporel                        Physiologie                                boire -manger                                                                                        

                                                                                               Respirer normalement

 

 

Ce qui m’intéresse dans cette pédagogie anthropologique, c’est d’abord tout ce qui est de l’ordre des processus vitaux, je parle de transactions vitales en définissant le soi comme un mouvement d’intériorisation des interactions. A ce propos en partant de l’écologie de l’action développée par A. Moles, en y réaménageant différentes « coquilles humaines » qu’un sujet peut former, on peut distingue 7 espaces d’auto structuration qu’un sujet social peut former grâce à une praxis autonome ou hétéronome.

1° « Un espace corporel déterminé bien sûr par l’épiderme mais prolongé par les différents sens -les 5 sens classiques, goût, odorat, ouïe, toucher, vue, mais aussi les moins classiques en particulier le « 6ème sens mystérieux « symbole des autres ».. L’individuation commence véritablement avec l’investissement corporel : être fier de sa couleur de peau tout en soignant son esthétisme. .

2° « Un espace habitat qui est la première coquille aménageant l’environnement immédiat, »

3° « un espace des proches, familial et amical, »

4° « Un espace voisinage où commence comme dit A. Moles « l’empire policé des autres » mais de façon encore assez informelle. « L’être y va spontanément, sans méthode, sans agenda, il y retourne, il y erre » (cf. A Moles, 1975, p. 107) »

5° « Un espace social qui est celui des différents lieux institués, professionnels, médicaux, éducatifs, religieux, politiques...occupés et balisés fortement par le travail, l’hôpital, l’école, l’église, les partis, »

6° « un espace physico - cosmique dont la  personne est un élément, »

7° « et finalement un espace métaphysique dont le mode de présence semble bien être celui de l’absence, de l’inconnu, de l’invisible mais avec lequel il faut établir, bon gré mal gré, un rapport fut-ce de rejet, »

 

« L’hypothèse de base est que le sujet humain n’existe comme sujet qu’en s’appropriant les rapports qui le lient à ces différents espaces. Il en est d’abord, et peut en rester, le simple produit principalement hétéro formé. S’il veut devenir lui-même, il n’a le choix que de se lancer dans un processus d’autoformation qui est l’appropriation de ces rapports pouvant entraîner une transformation des espaces correspondants » (Pineau, 1980, p.99).

La conquête du temps présent

Dans l’Anthropologie du projet J.P. Boutinet « tente une psychosociologie des conduites d’anticipation opératoires », qui selon lui nous conduit à nous interroger sur la façon dont les individus, groupes, cultures vivent leur rapport au temps, leur rapport à la résolution des problèmes. Le projet est alors défini comme une «anticipation opératoire individuelle ou collective d’un futur désiré ». La notion de projet renvoie en effet à la capacité de créer et au désir primitif de transformation / appropriation : il y a un ordre à évincer, et un ordre à faire advenir. Ce qui s’élabore dans le projet devient la résultante de ce qui se métabolise en supervision.

Pour aller plus loin, J.P. Boutinet nous rappelle les fondements philosophiques du concept de projet : le projet apparaît toujours comme une interaction entre un sujet et un objet. Le projet est alors le résultat d’une action réciproque entre le Moi et quelque chose d’extérieur à celui-ci. (Présentation moi/non-moi de Fichte, reprise par les psychologues contemporains : interaction individu-milieu, postulat de base de toute la psychologie contemporaine).

L’entrée en formation offre la possibilité de réaliser le projet, la peur de l’échec y prend figure comme médiation pour introduire la temporalité chère à Gaston Pineau notamment dans l’ouverture « des entre-temps d’où peut jaillir une temporalité personnelle, une histoire, un chrono génie ». Par la médiation verbale de l’énoncée où la transitionalité interne ou psychique se  met en œuvre, la formation crée des zones de double communication : se démarquer et s’articuler. Ce qui importe dans l’auto gestion de cette formation, c’est la prise de parole par une double opération de repliement réflexif et de dépliement narratif. L’auto formation démontre en fine la nécessité d’une méthodologie de projet… J.P. Boutinet mène une réflexion globale qui incite à lever la « tête du guidon ». Ce qui, selon lui, est d’ailleurs le rôle d’un « conseiller analyste extérieur » (que l’on appelle plus couramment coach ou consultant, superviseur, formateur), qui doit avoir pour mission :

- d’aider le ou les acteurs à mieux déchiffrer la situation dans laquelle ils sont insérés, afin de dégager des possibilités d’action

- d’aider les acteurs à expliciter leurs motivations ou leur absence de motivation

- de dégager d’éventuels objets préférentiels à investir, à la lumière du travail précédent

Pour conclure, l’auteur détermine les quatre propriétés du projet

Si l’on suit ce modèle de Boutinet la formation est un inédit vital lorsqu’elle engage les participants dans une bio scopie, c’est-à-dire dans l’historisation des événements et l’historisation de leur projet. L’inédit vital renvoie à ce qui s’énonce dans les récits de vie. Chaque fois qu’un sujet se raconte, les faits rapportés ne sont pas une répétition. L’émotion qui peut s’y dégager constitue toujours une expérience nouvelle. Les mots pour le dire sont constitutifs d’une réécriture de soi dans une perspective double: une résilience et une reliance. « Les adultes en formation - dont j’espère faire partie - ne cherchent pas à faire leur histoire pour faire de la littérature et encore moins du disciplinaire. Ils essaient de faire leur histoire pour tenter de survivre, c’est-à-dire d’abord de gagner leur vie, de la faire ou de la refaire et de la comprendre un peu » (Pineau, 1996, p. 66). C’est en quelque sorte une transaction vitale (transaction de soi à soi). Cette recherche qui s’attache à considérer les informations pertinentes devient alors un antidote de la répétition et de la mort.

 

Chaque séance de formation initie la figure de style interrogeant le temps dans cette pratique où chacun s’inscrit dans une chaine signifiante. L’anticipation méthodologique (c’est le temps de la praxéologie) s’opère ici. L’autobiographie raisonnée, au sens développé par Desroche est l’une de ces anticipations. Les tranches de vie rapportées ça et là sont mises en cohérence. Le désir de s’affranchir d’une multitude de blocages est exposé à la fois comme un lieu de restitution des paroles  personnelles où les actants se coalisent pour laisser échapper les ressources mobilisables et  mobilisées du sujet, et comme un lieu où l’on pose une plainte pour les souffrances endurées à la manière d’un plaignant auprès d’un juge. Pour paraphraser Dubar et Demazière (1997, p. 63), on peut dire que « la construction langagière »  d’une réalité est « au cœur d’une recherche centrée sur les interactions de face-à-face entre celui qui dont le projet est d’aller aider des personne en difficulté, « puisqu’un enjeu majeur de ces rencontres est  précisément la négociation d’un compromis sur la définition de la situation de» usager apprenant, formé.

 

Le temps de la formation est un lieu où chacun vient localiser l'expérience de soi, un lieu qui permette à l'expérience de s'éprouver comme auto subjective, comme réfléchie. Recherche existentielle de sens, (déclinaison d’une phénoménologie), l’intersubjectivité y prend figure de moteur. En parlant de phénoménologie, on ne peut s’empêcher de parler de transfert, de clinique. La formation au même titre que la supervision d’une équipe aborde et traduit les effets d’après coup. « Dans l’après coup de ce qu’il agit, précise J Rouzel, un professionnel, prend acte de ce qu’il a produit. Cette production formative de surcroît, exige un dispositif singulier. ».

 

En partant de l’ethnicité, ce travail d’élaboration dans l’après-coup vise à tous les niveaux un changement de position du sujet dans son rapport aux autres, à lui-même et au monde. La question de la fabrication du sens, la réponse à l’invitation que je me fais : « et toi qu’est- ce que tu fous-là ? » file tout au long de cette chaîne où la question de la formation n’est qu’un chaînon de la question sociale au sens large. Seul le changement subjectif permet d’impulser un changement collectif.

 

Le terme de clinique de clinique que j’évoque ici, apporte avec lui tout son lot d’ambigüité qui s’applique aussi bien à l’état de sidération où nous face aux inégalités que nous déplorons dans le processus de tribalisation qu’à la formation qui ne se met pas en place et nous maintient en servitude. Le klinè par son étymologie grec est ancien un lit; le klinicos, d’où découle le mot « clinicien » est celui qui est au chevet du malade alité, celui qui est à proximité de lui, proche de lui, en quittant son piédestal où son statut, sa position du supposé tout savoir l’avait placé; la clinique est donc l’art de rencontrer l’autre là où il est. On peut sans complexe assurer qu’il y a dans la formation, une position clinique, à savoir de rencontrer celui qui est en formation, là où il se trouve, et là où il souffre de ne pouvoir s’y retrouver. « C’est proprement ce qu’a fait Freud pour inventer la psychanalyse. Si ce mouvement est impulsé chez les professionnels dans les espaces de mise en forme de soi, il se déploiera en direction des usagers de l’action sociale. » J Rouzel

 

Le passage au langage des solutions quand on veut initier un projet, inaugure un travail de créativité, c’est ici que l’innovation culturelle (cela renvoie à l’ethnologie) commence à prendre place.  Cette innovation opère dans trois types d’ordre qui, créant chez le sujet des dynamiques internes grâce aux frontières que l’organisation éducative dresse, met en mouvement le désir et la demande de réaménager ses rapports d’usage.

 

 

 

 

 

 

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G
<br /> Ce texte fait partie d'une trilogie qui participe du débat sur la tribalité à Paris à l'assemblée nationale le 27 mars 2010<br /> <br /> <br />
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